Dom Juan à l’Olympia de Tours : le triomphe des Molière de Vitez au CDRT

Les Molière de Vitez au CDRT – Dom Juan – DR Pierre Grosbois
Jeudi soir j’ai assisté à la première représentation de Dom Juan au Centre dramatique régional de Tours dans le cadre des Molière de Vitez. Il y a deux autres séries de représentations cette semaine : foncez acheter vos billets, je vous explique pourquoi.
Alors que le mois dernier je m’étais fermement ennuyée devant Und d’Howard Barker, au point de m’endormir, j’ai retrouvé jeudi dernier le bonheur que j’avais éprouvé en allant voir La Dispute de Marivaux à l’Olympia de Tours. J’ai assisté cette fois à une représentation de Dom Juan, une des quatre pièces du cycle des Molière de Vitez. C’est en 1978 qu’Antoine Vitez avait monté quatre pièces de Molière avec une scène unique et de jeunes comédiens tous frais diplômés. En décidant que les pièces de Molière étaient liées les unes aux autres et que certains personnages pouvaient se retrouver d’une pièce à l’autre, il mettaient les acteurs dans une situation inédite. Gwenaël Morin a décidé de reprendre le concept de Vitez et les quatre pièces qu’il avait choisies (L’École des femmes, Tartuffe, Dom Juan et Le Misanthrope), pour les mettre en scène avec des élèves acteurs de Lyon.
Tirage au sort des rôles, pas de décors, pas de costumes… Le résultat dévie un peu du projet initial de Vitez, pour le mieux, évidemment. En tenue de ville et baskets, les acteurs se retrouvent à assumer un rôle qu’il n’aurait jamais eu dans un théâtre classique. Une jeune femme peut ainsi se révéler un Sganarelle plus que convaincant quand un jeune homme offre une Done Elvire bouleversante. L’expérience s’annonçait intéressante, et j’avais donc pris trois billets : un pour L’École des femmes mardi dernier (malheureusement une vilaine entorse m’empêcha de m’y rendre – impossible de garder la jambe en bas plus d’une vingtaine de minutes), un autre pour Dom Juan jeudi, donc (j’avais peur de ne pas tenir toute la représentation mais il y avait quelques sièges de libres au fond et j’ai pu allonger ma jambe, heureusement, car j’aurais détesté devoir partir avant la fin) et un dernier pour Le Misanthrope vendredi 10. En tout, chacune des quatre pièces aura été jouée quatre fois : deux fois en soirée de semaine et deux autres dans le cadre d’une intégrale le samedi. Vous avez donc toute cette semaine pour vous jeter sur les derniers billets et découvrir cette série de spectacles qui fait revivre Molière d’une façon si rafraîchissante.
En arrivant au théâtre vous trouverez à l’extérieur les textes des quatre pièces placardés sur des panneaux. Texte que vous pourrez prendre à l’intérieur imprimé sous forme de journal offert à tous les spectateurs. Façon originale de reconnecter le public au texte d’origine de Molière. Jusqu’au début de la pièce, rien ne pêche. Le concept comme la présentation sont originaux et on est pris d’une furieuse envie de dépoussiérage du théâtre français. Puis les acteurs entrent en scène. Et là, le texte-journal s’avère utile. Sans costumes ni éléments scénique – et avec le chamboulement dans le sexe des personnages, si l’on n’a pas relu Dom Juan très récemment on peut peiner à se souvenir que ce sont deux valets, Sganarelle et Gusman, qui sont sur scène. Idem lorsqu’on découvre Pierrot. On ne comprend rien, on cherche le texte, on lève les yeux, on se marre, on cherche à nouveau le texte, on entend la salle rire, on se dit « mince j’ai loupé un truc marrant », on repose les yeux sur les acteurs et on se met à rire devant l’extraordinaire jeu de l’actrice en marcel qui ne rate pas une ligne de son infernal texte. Elle en aurait loupé une que ça ne serait pas bien grave, notez. Il y a eu quelques appels au souffleur (« TEXTE ! ») et c’était reparti. Ceci dit on n’est aucunement gêné par ce processus largement assumé qui participe du comique.
Époustouflante Sganarelle, touchant Done Elvire, grand Dom Juan… Les genres se perdent et se retrouvent dans l’évidence d’un personnage plutôt que de son sexe. On en oublie de chercher qui a joué quoi. J’ai bien essayé de retrouver qui est qui mais j’ai vite perdu le fil, avant de me rendre compte que cela n’avait en définitive pas beaucoup d’importance de se rappeler les noms des acteurs, suffisamment humbles pour s’effacer derrière les mots et les personnages de Molière qu’ils subliment de leur talent. J’ai découvert enfin en France (et à Tours plutôt qu’à Paris !) un théâtre comme je l’aime. Moi qui m’évade régulièrement pour aller admirer ceux qui évoluent sur les planches londoniennes, j’ai eu de nouveau plaisir devant ce théâtre nouveau, intelligent et moderne, tout en étant respectueux de ses origines. Quel plaisir de redécouvrir les dialogues ciselés de Molière qui indignent autant aujourd’hui qu’hier, tant ils restent vrai. Je vous laisse vous-même juger de la question avec ce monologue de Dom Juan sur l’hypocrisie et trépigne d’impatience, pour ma part, de découvrir Le Misanthrope vendredi.